Conversation sur le trouble de la personnalité antisociale et la psychopathie
Avec Katioucha Platonova
Par Margot Duga
5 avril 2024
@katiouchha
Découvrez le témoignage de Katioucha Platonova, qui partage son quotidien avec le TPA génétique sur les réseaux sociaux, plus communément connu sous le nom de "psychopathie". Dans cette interview, Katioucha souhaite démystifier les idées préconçues souvent véhiculées par les médias et la société en général, en expliquant que les psychopathes ne sont pas tous des tueurs sans cœur ou des monstres, mais simplement des individus incapables de ressentir des émotions. Elle nous livre également des informations sur l'origine de son trouble, les différences avec le TPA traumatique (sociopathie), et nous fait part de la manière dont le TPA génétique impacte sa vie quotidienne, notamment sur le plan physique.
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Cela fait un moment que tu partages ton quotidien avec le trouble de la personnalité antisociale sur les réseaux sociaux. Pour ceux qui ne te suivent pas et qui ne sont pas familiers avec ce trouble, pourrais-tu expliquer ce que c’est exactement ?
Effectivement, ça fait un moment que je partage mon expérience sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok. Par contre, comme au départ j’utilisais les acronymes "TPA" au lieu de citer le trouble tel quel, les gens ne comprenaient pas trop de quoi il s'agissait et n’étaient pas plus intéressés que ça.
Pour simplifier, le trouble de la personnalité antisociale englobe deux "sous-types" de troubles : le TPA traumatique et le TPA génétique, plus communément connus sous les termes de "sociopathie" et de "psychopathie". Personnellement, je suis ce qu'on appelle une "psychopathe", ce qui signifie que j'ai plusieurs zones inactives dans mon cerveau depuis ma naissance.
La principale différence entre les personnes atteintes de TPA traumatique et de TPA génétique est le fait que, contrairement aux psychopathes, les sociopathes peuvent retrouver de l'empathie et certaines émotions, généralement vers l'âge de 45/50 ans. Les sociopathes sont souvent impulsifs, tandis que les psychopathes, comme moi, ont souvent des tendances à la toxicomanie, à l'alcoolisme et à d'autres types d'addictions.
Quels ont été les premiers signes qui t'ont poussée à consulter un psychiatre et à obtenir un diagnostic ? Et comment le trouble a-t-il évolué au fil du temps ?
Pour donner plus de contexte, mes parents m'ont adoptée vers l'âge de 5 ans à l'orphelinat d'Angarsk, en Sibérie. C'était un lieu où chaque enfant était conditionné et prédestiné à devenir soit champion pour les Jeux olympiques, espion pour le gouvernement russe, ou d'autres rôles similaires. On était chacun soumis à différents traitements et ils faisaient globalement ce qu’ils voulaient de nous, étant donné que l’on était dans une partie isolée de la Sibérie, où personne ne pouvait vraiment voir ce qui s'y passait.
Au début, ma mère adoptive étant médecin, pensait que j'étais atteinte d'une forme d'autisme. À l'âge de 14 ans, elle m'a fait consulter un psychiatre car j’avais tendance à me faire du mal pour tenter de ressentir des émotions. Le problème, c’est que je voyais bien que ça ne menait pas à grand-chose puisque je ne ressentais rien. J'avais énormément de mal à différencier le bien du mal vis-à-vis des autres et surtout envers ma propre personne. Je n'avais aucune expression faciale et ne souriais quasiment jamais. En fait, j’imitais simplement les émotions que j’avais pu voir sur le visage d’autres personnes, ce qu’on appelle le “masking”, alors qu’au final je ne ressentais toujours rien sur le plan émotionnel.
Comme j’ai vécu plusieurs traumatismes, le diagnostic qui est d’abord ressorti était le TPA traumatique, donc sociopathie. Vers l'âge de 20 ans, j'ai de nouveau consulté un spécialiste, et lors d'un scanner, on a découvert que certaines zones de mon cerveau étaient totalement atrophiées, en particulier le cortex préfrontal, ce qui a des répercussions sur ma mémoire. Il y a probablement 40% des zones de mon cerveau qui sont actives, ce qui fait que même physiquement, parfois, mon corps ne ressent pas la douleur comme une personne “normale”.
Par exemple, je me suis déjà cassée le bras, et les médecins ne comprenaient pas pourquoi je ne ressentais pas plus de douleur et pourquoi j’étais aussi calme. C'est suite à ce scanner et à d'autres tests de sensibilité que j'ai finalement reçu le diagnostic de TPA génétique, donc de psychopathie. Il est important de souligner que ce processus a pris des mois, voire des années, et n'a pas été conclu en quelques jours seulement.
Comme tu ne ressens pas les émotions comme les autres, comment est-ce que ça se manifeste dans la vie de tous les jours, et particulièrement sur le plan relationnel ?
Comme je l'ai mentionné plus tôt, j'ai développé une personnalité "adaptative" pour m'intégrer à la société, ce qui me permet d'imiter toutes les émotions sans les ressentir véritablement. Par conséquent, je souffre de ce qu'on appelle la "somatisation" au niveau de la douleur. En situation de stress, par exemple, je ressens uniquement cette tension physiquement, ce qui se traduit souvent par de fortes migraines. Même si j’ai la capacité de pleurer en réaction à la douleur physique, ce n’est pas le cas pour la “douleur émotionnelle”. Sur le plan relationnel, je suis actuellement en couple et je peux entretenir une relation amoureuse. Je ne ressens pas de sentiments au niveau psychologique, mais mon corps réagit positivement à la présence de mon partenaire, et c’est comme ça que mon affection pour lui se manifeste.
En ce qui concerne les comorbidités, je souffre de dédoublements de personnalité, à distinguer du trouble dissociatif de l'identité (TDI), qui implique le fait d’avoir plusieurs “alters”. Pendant ces moments, je reste moi-même, mais j'adopte une personnalité "factice" où je montre de fausses émotions et me force à avoir un comportement spécifique en fonction de mon environnement, ce qui peut être physiquement très épuisant. J’ai également une personnalité "neutre", pendant laquelle je n’ai vraiment aucune émotion et je ne laisse absolument rien paraître. Grâce à mon éducation, j'ai appris les valeurs sociales et à me conformer à certaines normes. Sans cette éducation, je serais probablement indifférente à tout. Même si on m'a inculqué ces valeurs et que j'ai été éduquée pour reconnaître le bien et le mal chez les autres, j'ai toujours des difficultés à les distinguer en ce qui concerne ma propre personne. Ça peut parfois me placer dans des situations critiques et dangereuses, sans que je m'en rende nécessairement compte.
Étant donné que tu es née avec cette condition, est-ce une prédisposition génétique ? Autrement dit, est-il possible que tes géniteurs en soient eux aussi atteints ou aient des problèmes d’ordre psychologique ?
Comme j’ai été adoptée, je ne connais quasiment rien de ma génitrice. Du peu que je sache, elle a effectué plusieurs séjours en hôpital psychiatrique et en plus de ça, elle buvait et se droguait pendant la grossesse. Donc effectivement, j’imagine que ça a énormément influencé le développement de mon trouble par la suite.
Est-ce qu’il existe des traitements ou des thérapies spécifiques pour les personnes atteintes de psychopathie ?
Oui. Justement, je suis actuellement ce qu’on appelle une thérapie cognitive-comportementale (TCC). Comme je le disais, j’ai toujours des difficultés à discerner le bien du mal vis-à-vis de ma propre personne, donc je travaille beaucoup avec mon psy là-dessus. En ce qui concerne les traitements, c'est compliqué, et il y a plusieurs facteurs à prendre en compte. Mon psychiatre ne m’a jamais fait d’ordonnance ou administré quoi que ce soit. Il y a des types de médicaments que je ne peux pas prendre, et certains traitements, notamment ceux utilisés pour guérir des maladies physiques, ne sont pas adaptés à mon trouble en raison des interactions avec les enzymes cérébrales.
Qu'est-ce qui t'a incitée à commencer à parler ouvertement et publiquement de ton expérience avec le TPA génétique ?
Au départ, c'est mon psychiatre qui m'a suggéré d'en parler sur les réseaux sociaux, sachant que j'étais active sur ces plateformes, dans le but d'expliquer réellement ce qu'était le TPA. Étant donné que je recevais de nombreux commentaires sur mes expressions faciales quasiment inexistantes, je me suis dit que ce serait une bonne idée d'informer les gens. Notamment pour que certaines personnes arrêtent de se proclamer psychopathes pour des comportements insignifiants, comme le fait de stalker son partenaire par exemple, ou avoir des pensées dark.
Est-ce que les termes “psychopathes” et “sociopathes” sont toujours utilisés aujourd’hui, ou est-ce qu'ils sont plutôt perçus comme réducteurs ?
Ces deux termes ne sont plus trop utilisés dans certains pays car ils sont plutôt réducteurs. Certains youtubeurs les emploient pour raconter des histoires de crimes, alors que le criminel n'aura pas nécessairement les caractéristiques d'un sociopathe, ni d'un psychopathe. Dans d'autres pays, ces termes sont encore utilisés, mais souvent pour classer dans des cases les personnes ayant commis un meurtre, afin de justifier leurs actes et leur comportement. Pour ma part, j'utilise encore ces termes car ils sont plus faciles à comprendre pour les autres.
Quels sont les préjugés les plus courants et les remarques auxquelles tu as été confrontée par rapport à ton trouble, notamment lorsque tu partages tes vidéos sur les réseaux sociaux ?
Alors d’abord, il faut savoir que j’ai obtenu un diplôme d’ingénierie assez tôt, car j’ai sauté plusieurs classes. Donc, il ne faut vraiment pas croire que les personnes atteintes de psychopathie sont toutes sans cœur, ne savent pas se comporter dans la société et ne sont bonnes à rien, à part faire du mal aux autres. Lors de mes premières vidéos sur le TPA, alors que j’étais honnête au sujet de mes comorbidités qui étaient d'ordre génétique et ressemblaient donc à la psychopathie et non à la sociopathie, il y a eu pas mal de spéculations. La plupart des préjugés que j’ai pu entendre tournaient souvent autour des mêmes questions : « Est-ce que tu as déjà pensé à tuer des gens ? », « Est-ce que tu te soucies des gens qui souffrent autour de toi ? », « En fait, tu es vraiment un monstre. Dans quelques années, tu seras une meurtrière. »
J'ai également rencontré certaines personnes qui étaient un peu trop “fascinées” par mon trouble, me prenaient pour exemple et voulaient me ressembler au niveau psychologique, en faisant croire qu’elles étaient elles-aussi atteintes de psychopathie. J'ai aussi eu affaire à des fétichistes vis-à-vis de mon trouble, ce que j’ai trouvé extrêmement bizarre, tandis que d'autres étaient simplement curieux et intéressés par rapport à leurs études en psychologie. Certains trouvaient mon trouble « cool », car je ne pouvais pas ressentir d’émotions, alors qu’il n’y a absolument rien de cool à ça. Mis à part ça, j'ai souvent été victime de psychophobie. Une remarque complètement stupide que j’ai pu entendre était que, soi-disant, les personnes "comme moi" ne révélaient pas leur trouble et ne se montraient jamais sur les réseaux sociaux. Alors que pour moi, il était important que les gens comprennent ce trouble mal perçu par la société, car les termes « psychopathes » et « sociopathes » sont souvent utilisés à tort et à travers. En réalité, nous ne sommes pas tous des individus méchants, des tueurs ou des sadiques; nous sommes tout simplement incapables de ressentir les émotions.
Pour conclure, quel message souhaiterais-tu faire passer aux personnes qui ont tendance à “diaboliser” ou, dans certains cas, à “idéaliser” les TPA et les problèmes liés à la santé mentale en général ?
Si j'avais un message à faire passer à toutes les personnes qui idéalisent les TPA, je leur dirais que la psychopathie et la sociopathie ne sont pas un jeu et sont loin d'être “cool et mystérieux”. Que ce soit les TPA génétiques ou traumatiques, beaucoup d'entre nous souffrent de somatisation, parfois extrême, qui entraîne de sérieux problèmes de santé. Aux premiers abords, ça peut paraître sympa de ne pas ressentir les émotions négatives, mais la souffrance physique est bien réelle pour nous, quelles que soient les origines de notre trouble. Aujourd'hui, j'accumule de nombreux problèmes de santé, tels que des kystes ovariens hémorragiques, des migraines sévères, des contractures musculaires, et j’en passe. Je lutte constamment pour discerner le bien du mal en ce qui me concerne, mais je n'ai jamais fait de mal à autrui, sauf dans des situations où j'ai dû me défendre, notamment lorsque j'ai été victime de violences conjugales dans le passé.
Malgré ma vision du monde différente, je ne vais pas aller tuer qui que ce soit ou faire du mal au premier venu. Les stéréotypes associés à ce trouble sont très réducteurs, alors que la plupart d'entre nous souffrent physiquement et éprouvent des difficultés à s'intégrer dans une société qui ne comprend pas toujours notre incapacité à ressentir des émotions. C'est la raison pour laquelle on a souvent tendance à se tourner vers des personnes empathiques et compréhensives. En bref, la psychopathie et la sociopathie sont de véritables conditions, et il est important de ne pas utiliser ces termes à tout bout de champ ou pour diagnostiquer chaque tueur en série qu’on peut voir à la télé.