Les mots comme remède, l’écriture comme thérapie.

Avec Evan Leroy-Cresto

Par Margot Duga

17 mai, 2024

@principecaduto

Dans cette nouvelle interview, plongez dans l'univers d'Evan Leroy-Cresto, auteur de trois recueils de poèmes et d’un prochain roman intitulé Quelqu’un ou La Dyade agnostique. Evan nous partage comment l'écriture est devenue son échappatoire, sa thérapie, et son alliée dans la quête de soi. Il nous livre un témoignage poignant sur la façon dont cette pratique l'a aidé à surmonter ses défis personnels, à explorer ses émotions, et à intégrer ses propres expériences dans son tout premier roman.


Tu es l’auteur de trois recueils de poèmes, et chacun explore une large palette d'émotions. Peux-tu nous parler de la façon dont ces émotions reflètent ton propre vécu en matière de santé mentale ?

Mes trois recueils de poèmes ont été écrits entre mes 18 et 20 ans, autrement dit à la période la plus compliquée pour bon nombre d’entre nous au regard de nos émotions, de la compréhension de soi et de notre identité. Les émotions sont souvent catégorisées selon leur impact : il y aurait les émotions négatives d’un côté, et les émotions positives de l’autre. Il serait assez réducteur de classer nos émotions selon un schéma binaire dans lequel rien ne peut se mélanger. En réalité, écrire sur mes émotions m’a permis de comprendre que celles-ci sont toutes liées et interdépendantes. Si parfois l’une prend le dessus sur les autres, rien ne sert de culpabiliser ou de stigmatiser notre propre ressenti sous prétexte que cela est trop intense, démesuré, ou insensé. Il est nécessaire de comprendre que chacun.e de nous ressent les choses à sa manière, avec sa propre intensité et son propre degré de sensibilité. Comprendre et accepter cela m’a permis d’être moins sévère envers moi-même à des périodes où je ne contrôlais plus aucune émotion, où tout semblait chaotique. Le problème était justement là : je pensais que le contrôle de mes émotions était un signe de force et de maturité. Aujourd’hui, j’ai compris que contrôler l’incontrôlable ne sert à rien, et qu’il vaut mieux apprendre à les gérer, à vivre en harmonie avec elles, plutôt que d’essayer de les contraindre. 

Les thèmes de la lutte contre la dépression et de la quête d’identité reviennent souvent dans tes écrits. Ton processus d'écriture t'a-t-il aidé à surmonter ces défis personnels ?

Ce sont des thèmes que j’aborde souvent, c’est vrai. Je me suis longtemps senti impuissant face à mes émotions, face à des périodes plus sombres et face à moi-même de façon générale. Lorsque j’ai entamé un suivi psychologique, ma psychologue m’a suggéré d’écrire, d’abord sous forme de liste de choses que je voyais, que je sentais. Je devais écrire sur tout ce qui était concret autour de moi, de manière à me recentrer sur le présent. Cette tentative n’a pas marché, je n’ai pas réussi à écrire sur le “moment présent”. Pour autant, cette étape m’a permis de découvrir que j’aimais l’art de l’écriture, et suite à ça, j’ai commencé à écrire de la poésie pour me purger de mes pensées négatives. Cette façon de m’échapper des douleurs concrètes en les transformant en quelque chose de “beau” m’a permis de commencer à aller mieux et m’a surtout permis de me comprendre. Après avoir écrit trois recueils, j’ai voulu démarrer quelque chose de nouveau, tout en continuant à écrire de la poésie en vers de manière moins régulière. Je me suis mis à écrire en prose, puis progressivement, j’ai commencé à écrire un roman. Cette succession d’écrits a été extrêmement salvatrice puisque j’ai pu diversifier mes moyens d’exprimer mes douleurs. 

C’est un peu malheureux en vérité puisque je n’ai jamais su (et je ne saurai jamais) écrire sur la joie ou sur une émotion purement “positive”. En revanche, l’écriture m'apparaît aujourd’hui comme une alliée fondamentale, en tant qu’échappatoire et en tant que réelle thérapie. Ecrire quotidiennement me permet de nourrir une vision détaillée de ce qui m’entoure, comme si le fait d’écrire m’avait fait revêtir un filtre différent sur mes yeux. Tout me semble différent d’avant, et tout semble renfermer à la fois de la beauté et de l’horreur.


Ton prochain ouvrage, intitulé Quelqu’un ou La Dyade agnostique, sera cette fois-ci un roman qui plongera les lecteurs au cœur d’une période difficile de ta vie. Comment as-tu réussi à intégrer ces expériences personnelles dans ton écriture ? 

Comme c’est la première fois que j’écris autre chose que de la poésie ou de la prose et que je fais cohabiter mes écrits sur 90 pages, j’avais assez peur de briser l’authenticité ou de ne pas maîtriser tous les passages de ce livre.  Pour autant, j’ai été aidé dans ma tâche puisque le livre étant inspiré de ma propre vie, je l’ai écrit jour après jour, en suivant en temps réel quasiment chaque chapitre. Cette façon de fonctionner en “temps réel” m’a permis de garder l’authenticité de chaque moment et de suivre une trame sans me perdre dans l’histoire. Mon livre était dépendant de moi autant que je devenais dépendant de lui. 



Beaucoup de gens considèrent l’écriture comme une forme de thérapie. Comment perçois-tu le lien entre ton art et ton bien-être mental ?

Le lien qui existe entre mon état mental et mes écrits est un lien quasiment amical. C’est assez déstabilisant de voir les choses sous cet angle, mais disons que ce qui me fait tant aimer l’écriture c’est la confiance que je voue à cette activité. J’écris aussi souvent que l’on appellerait un.e ami.e pour lui raconter nos déboires ou nos tristesses. Au-delà d’une simple thérapie personnelle, l’écriture me permet réellement de créer une bulle dans laquelle je peux lâcher prise sans crainte, sans contrainte, sans danger. Dans le prologue de mon prochain roman, j’ai écrit :  “Parce que les mots sont qui je suis et autrement je ne suis pas.” Je trouve que cette phrase représente parfaitement la relation qui me lie aux mots. Je crois que si je n’avais pas trouvé l’écriture (ou si l’écriture ne m’avait pas trouvé), je ne me serais jamais réellement découvert. 

Quel message souhaites-tu transmettre à tes lecteurs en ce qui concerne la santé mentale à travers tes écrits ?

J’aimerais apporter de la compassion à travers mes écrits. J’aimerais qu’en me lisant, tout le monde puisse reconnaître une part de soi-même et puisse se dire que ce n’est pas “si grave” de ressentir quelque chose. J’aimerais faire prendre conscience aux plus sceptiques ou aux moins sensibles d’entre nous qu’une émotion n’est pas un ennemi, que ce que l’on ressent est beau et que même si parfois tout cela est difficile, c’est avant tout un merveilleux moyen de mieux se connaître.

© Quelqu’un ou la Dyade agnostique, Evan Leroy-Cresto