Déconstruire les tabous : Perspectives d’un psychologue
Avec Charly de Culture Psy
Par Margot Duga
16 mars 2024
@culturepsy_
Charly est un psychologue agréé et co-animateur de la page Instagram @culturepsy_ avec Ael, étudiante en psychologie. Ensemble, ils utilisent leur plateforme pour militer en faveur de la santé mentale. Dans cette interview, Charly aborde la stigmatisation entourant la santé mentale, les tabous associés, et partage ses perspectives sur l'avenir de la psychologie.
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Tu exerces le métier de psychologue depuis 3 ans. Qu'est-ce qui t’as donné l'envie de travailler dans ce domaine et quel aspect de ta pratique t’intéresse le plus ?
Le métier de psychologue m’a toujours fasciné car il représente pour moi à la fois une opportunité de mieux comprendre l’être humain, son fonctionnement global (psychologique, biologique et social), et une occasion de l’accompagner vers un mieux-être. C’est aussi un métier qui a des branches et des missions très variées, que ce soit par les spécialisations effectuées pendant les études (psychologie clinique, sociale, développementale, neuropsychologie etc.) ou par la diversité des structures et publics avec lesquels on travaille. Pour ma part, ce qui me passionne le plus dans ce quotidien, c’est le contact à l’autre ; ce qu’on appelle plus communément la clinique. Là, on rencontre la personne, ses demandes, ses ressources, son histoire et contexte de vie. On l’accompagne à travers une relation thérapeutique, et grâce à des outils psychothérapeutiques, à accomplir des choses dont elle ne se sentait pas capable avant.
En tant que psychologue, pourquoi penses-tu que la santé mentale demeure un sujet tabou et stigmatisé ? Quelles en sont, selon toi, les principales raisons ?
Bien qu’on assiste depuis la période Covid à un levé de voile sur la question de la santé mentale et de la prise en charge, de nombreuses inégalités et discriminations subsistent. Ça peut s’expliquer par de nombreux facteurs, comme par exemple le fait que les idéologies soient très lentes à faire évoluer, que l’être humain ressente le besoin de se comparer ou de rabaisser certains individus ou groupes, qu’oser parler de santé mentale c’est se poser la question de sa propre santé mentale (ce qui peut être anxiogène et difficile à accepter). Il y a également le fait que nous vivons dans une société profondément capitaliste, individualiste et validiste. On a la sensation que ces derniers temps la santé mentale est devenue un sujet plutôt bien accepté par la majorité : “ il faut prendre soin de sa santé mentale !”. Par contre, le sujet, intrinsèquement lié à la santé mentale mais qui est toujours autant stigmatisé et tabou, c'est celui de la psychiatrie. Et ça, on le doit notamment à des siècles de stigmatisation, de violence et de rejet des personnes souffrant de troubles psychiques, et il y a encore beaucoup de progrès à faire.
Face à cette stigmatisation, quels types de stratégies utilises-tu afin de sensibiliser tes patients et leur entourage aux problématiques psychologiques, tout en favorisant un environnement de soutien ?
Dans la clinique, une des stratégie pour lutter contre l’auto-stigmatisation des personnes atteintes de troubles psy est la psychoéducation. C'est-à-dire leur apprendre le fonctionnement de leur trouble afin qu’ils puissent mieux le connaître et savoir quoi faire dans certaines situations. Cette psychoéducation est importante à faire auprès de l’entourage aussi, qui joue un rôle fondamental et qui peut être un facteur de risque ou de protection.
En dehors de ma pratique, avec Ael on milite sur notre compte Instagram @CulturePsy, pour déstigmatiser et informer sur les troubles psychiques afin de lutter contre la psychophobie (peur et discrimination des personnes vivant avec des troubles psys).
Qu’est ce que tu dirais aux personnes qui hésitent à consulter un psychologue par peur d'être jugées, afin de les rassurer et de les encourager à franchir le pas ?
J’aimerais leur dire ceci : “Si vous avez décidé de consulter, c’est que vous avez réalisé que quelque chose n’allait pas et que vous souhaitez changer. En faisant cela, vous avez déjà fait le plus dur, car cette première étape est souvent très coûteuse en termes de remise en question. La rencontre avec le professionnel de santé mentale (psychologue, psychiatre, etc.) peut faire peur et est sujette à beaucoup de représentations, mais le jeu en vaut la chandelle car la psychothérapie a des effets bénéfiques prouvés sur le long terme. Je ne peux pas vous garantir que la rencontre que vous ferez sera bonne, mais le professionnel que vous allez rencontrer est formé à l’écoute et doit suivre des principes de non-jugement et de bienveillance. Et dans la situation où vous ne vous sentez pas à l’aise avec un professionnel, n’oubliez pas que vous avez le pouvoir de lui dire vos ressentis et de changer, il n’y a aucun engagement. N’hésitez pas à affirmer vos attentes, vos demandes et si quelque chose convient ou ne convient pas, c’est vous qui êtes au centre de la prise en charge.”
Pour finir, quelles sont tes perspectives sur l'avenir de la psychologie en tant que profession, et quels nouveaux défis ou opportunités vois-tu émerger dans le domaine ?
La psychologie a de beaux jours devant elle. Le métier de psychologue est de plus en plus reconnu et le marché de l’emploi est en pleine évolution. Les opportunités sont donc nombreuses, on peut espérer une meilleure implantation des psychologues dans les institutions et donc un meilleur accès aux soins. Toutefois, de nombreux défis doivent encore être relevés. Déjà, favoriser l’accès aux soins psychologiques en renforçant le système public (CMP, CMPP, hôpitaux etc) ou bien le remboursement de la psychothérapie par des professionnels libéraux. Sur le sujet du secteur privé, on a vu émerger des dispositifs comme MonPsy, où le postulat de départ est bon (favoriser l’accès aux soins psy pour tous), mais où le dispositif a été boycotté par plus de 90% des psychologues car il était maltraitant à bien des égards.
Comme la santé mentale devient un sujet “à la mode”, un autre défi qui devra être surmonté est l’émergence d’un nombre important de fausses informations. En effet, cette tendance sociétale s’est accompagnée d’un essor de thérapies alternatives, de théories ou de croyances qui n’ont aucun fondement scientifique. Cela représente, à terme, plusieurs dangers. Pour les publics par exemple, le fait de ne plus savoir sur quelle information se fier, et ce qui peut provoquer un retard diagnostique et de prise en charge conséquent.